Le son de la forêt tropicale

On les entend mais on ne les voit pas. Tout autour, les oiseaux sifflent et pépient. Plus loin sur la gauche, on peut entendre le sifflement lointain et le cri d’alerte d’un mangabey. C’est le chant du Parc National de la Salonga, un endroit où les animaux vivent en secret.

Depuis les premières heures du matin, Samy Matungila, employé du WWF, est sur la route dans la forêt dense avec une équipe de six personnes, ainsi qu’un cuisinier et une douzaine de porteurs. Les cimes des arbres au-dessus d’eux craquent, les feuilles sur le sol bruissent. Les papillons dansent dans une petite clairière et les moustiques bourdonnent sur le chemin devant eux. Rien de plus, mais l’équipe sait que des bonobos, des antilopes et même des éléphants de forêt vivent ici. Ces derniers en particulier sont rarement vus, ce qui est une bonne nouvelle dans ce cas, car une rencontre avec eux peut être dangereuse pour l’homme.

Group of butterflies Salonga

Une des nombreuses espèces de papillons du Parc National de la Salonga.

Samy Matungila, WWF DRC, with spectacles

Samy Matungila, l'expert pour le biomoniotring au Parc National de la Salonga, pendant son travail à Bekalikali Bai.

Forest clearing in Salonga National Park

Les clairières du Parc, qui s'appellent "bais", sont particulièrement intéressantes pour observer les animaux.

Travailler à Salonga

Cependant, pour Samy Matungila qui connaît bien Salonga pour y avoir travaillé déjà en 2003-2004 lors des inventaires MIKE (Monitoring of illegal killing of elephants), sa plus grande préoccupation n’est pas une rencontre avec un éléphant mais de trouver les pièges à caméra que l’équipe a posés dans la zone il y a trois semaines. En effet, Samy est l’un des responsables du plus grand projet à ce jour visant à recenser les espèces animales dans le parc national de la Salonga, ce qu’on appelle le suivi écologique ou le « biomonitoring » en jargon scientifique.

L’enregistrement des espèces animales est plus facile à dire qu’à faire – c’est un défi non seulement scientifique, mais aussi logistique. Surtout quand il s’agit de réaliser cette surveillance dans une forêt tropicale sauvage encore vierge au milieu du bassin du Congo. L’étendue de la zone que surveille l’équipe de Samy Matungila est déjà impressionnante : 17.127 km2, le bloc sud du Parc – ce qui est plus grand en superficie que la moitié de la Belgique

Un peu plus d’une décennie après les inventaires, le WWF et des scientifiques d’institutions de recherche renommées, ensemble avec L’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), ont planifié et réalisé les inventaires. Les premières données ont été analysées sous la responsabilité de l’Institut Max Planck et l’Université de Munich. La collecte des données sur le terrain a pris 18 mois. 160 pièges à caméra ont été placés sur 743 sites qui ont permis d’enregistrer 16 700 clips vidéo. Au total, plus de 700 personnes (dont la quasi-totalité provenant de la périphérie du Parc) ont participé au projet dans un seul but : obtenir une image fiable de la biodiversité de cette partie du Parc National de la Salonga.

Bekalikali Bai
Une vue aérienne dela clairière ("bai") de Bekalikali dans le Parc National de la Salonga.

Conserver un site du patrimoine mondial de l’UNESCO

Cette biodiversité doit être protégée en tant que patrimoine national de la République Démocratique du Congo et en tant que site du patrimoine mondial de l’humanité. Les données, collectées régulièrement, fournissent aux chercheurs et aux spécialistes de la conservation, les informations urgentes dont ils ont besoin : la Salonga est-elle toujours un lieu sûr pour les bonobos, ou leur population est-elle en déclin ? Les mesures de conservation ont-elles produit leurs effets, de sorte qu’il y a plus d’éléphants de forêt ? Est-ce qu’il y a des espèces qui n’ont pas encore été découvertes et pour lesquelles une protection spéciale pourrait être nécessaire ?

Samy espère que les appareils photo ont fourni de bonnes images et qu’elles contribueront à protéger le Parc National de la Salonga. Encore quelques mètres à parcourir et le groupe devrait atteindre le premier piège à caméra ce jour-là. Il est épuisant de se frayer un chemin à travers les arbres, les buissons et les lianes denses. Il y a de l’excitation dans l’air, mais aussi quelque chose comme de l’anticipation. Les caméras sont maintenant à leur emplacement depuis 25 jours. Qu’est-ce qu’elles vont révéler ? Qu’est-ce qui se passe ici le jour et la nuit ? Les réponses à ces questions sont encore à venir. Aujourd’hui, les vidéos seront sauvegardées et devront fournir des réponses à toutes ces questions.

 

La forêt dense du Parc National de la Salonga, où le meilleur moyen de transport sur les nombreuses rivières est la pirogue.

Biomonitoring avec des pièges à caméra

À l’aide de son appareil GPS, Samy a localisé les deux premières caméras et les hommes commencent leur travail dans la forêt étouffante. Ce jour-là, ils chercheront d’autres pièges à caméra placés sur les transects à une distance de six kilomètres. Ces transects ont été préalablement planifiés sur ordinateur et représentent une sorte de grille virtuelle sur cette partie de la forêt.

Mais comment les images des pièges à caméra peuvent-elles être utilisées pour déterminer la fréquence et la densité des espèces animales ? Une photographie seule ne révèle pas à quel point l’animal identifié, par exemple un paon du Congo, est fréquent dans un paysage. L’astuce de la méthode de biomonitoring de la Salonga est aussi simple qu’ingénieuse : les caméras de la zone étudiée sont toutes actives en même temps et en permanence. Ce n’est que pendant ce temps que le piège de la caméra peut être déclenché par des mouvements. La caméra filme alors ce qui se passe dans son environnement. Ainsi, des vidéos de la zone de la forêt couverte sont prises à chaque fois qu’un animal passe. Cependant, lors de l’analyse des données, seuls des instantanés prédéterminés sont pris en compte, par exemple toutes les cinq secondes dans la fenêtre temporelle définie. Ceci a pour avantage que chaque individu n’est compté qu’une seule fois à chaque instant donné car il ne peut pas se trouver à différents endroits en même temps.

Des images enrichissantes

Après plusieurs jours dans la forêt de la Salonga, Samy est de retour à la base. Il insère une carte mémoire dans l’ordinateur portable posé sur ses genoux et télécharge les données d’un appareil photo qui avait été placé dans une clairière de la forêt. Il fait un double-clic sur le fichier et les premières séquences vidéo défilent sur son écran : Rien … Une feuille qui tremble … Encore une fois, rien.

Mais quelques minutes interminables plus tard il lâche une exclamation : « Super, c’est fantastique ». Samy se penche en avant et regarde la vidéo avec fascination. Au bord de l’écran, l’heure de l’enregistrement est inscrite : 3 heures du matin. Devant le fond sombre, une grande figure grise est clairement visible : Un éléphant de forêt regarde dans la direction de la caméra et se met à manger. « Il arrache l’herbe avec sa trompe et la met dans sa bouche. Il mange, tout à fait paisiblement », commente Samy à propos de l’événement. Après le dur effort des derniers jours dans la forêt, cette nouvelle journée de travail à la Salonga commence sur une note très agréable.

éléphant de forêt dans une clairie au parc national de la Salonga

Les éléphants sont actifs aussi bien de jour que de nuit.

Animaux du Parc National de la Salonga
Vidéos prises par des pièges à caméra pendant le biomonitoring.