La pertinence de biomonitoring
Mattia, pourriez-vous vous présenter en quelques mots? D’où venez-vous et quels sont vos antécédents et comment en êtes-vous venu à coordonner le monitoring dans le Parc National de la Salonga (PNS)?
Je viens de l’Italie où j’ai fait les études en « Biologie Environnemental » à Turin. Mon principal intérêt a toujours été la gestion et la conservation de la faune et de la flore sauvage, en particulier en ce qui concerne les méthodes de biomonitoring. Après quelques expériences sur le terrain en Italie du Nord et en Europe, j’ai eu l’opportunité (grâce au Max Planck Institute of Evolutionary Anthropology – PanAf program) de voyager en Afrique pour la première fois en 2014 pour lancer une étude sur l’écologie et le comportement des chimpanzés dans l’est de la RDC : l’expérience la plus incroyable de ma vie. Après cela, j’ai déménagé sur un autre site, dans la République Démocratique du Congo. La gestion de ces deux sites de terrain m’a conduite à coordonner le biomonitoring dans le PNS, avec des tâches similaires mais à une toute autre échelle.
Qu’est-ce que vous répondez aux personnes intéressées à la question : Pourquoi avons-nous besoin du biomonitoring à la Salonga ?
Si nous voulons préserver la population animale restante dans le monde entier, nous devons d’abord savoir où se trouvent les animaux et combien il y en a. Lorsque nous le saurons, nous pourrons évaluer les menaces qui pèsent sur les différentes populations et mettre en place des stratégies pour leur conservation. Le biomonitoring est à la base de toute action en faveur de la conservation des animaux.
Mattia Bessone a étudié la biologie environnementale à l’Université de Turin. Il est intéressé à la gestion et à la protection de la faune, particulièrement aux méthodes de surveillance des espèces. En 2014, il a voyagé pour la première fois en Afrique pour y débuter une étude sur l'écologie et le comportement des chimpanzés dans l'est de la République démocratique du Congo. Après avoir effectué un autre séjour de recherche et géré une station de terrain en République du Congo, il a assuré la coordination du biomonitoring au Parc national de la Salonga.
Les défis et les difficultés
Le monitoring dans un parc aussi vaste que la Belgique entière – comment cela se passe-t-il ? Il y a certainement des défis majeurs à relever ?
Le Parc National de la Salonga est non seulement immense, mais aussi l’une des zones les plus reculées d’Afrique centrale, avec des infrastructures très limitées au moment de l’inventaire. Elles se limitent essentiellement aux sentiers et aux rivières. Il faut beaucoup de créativité pour organiser la logistique et les déplacements autour du parc. Et plus important encore, il faut des personnes dévouées, motivées et physiquement exceptionnelles. Nous avons eu la chance d’avoir un grand nombre de ces personnes qui ont participé à l’inventaire.
Il a fallu combien de temps au total pour installer les pièges photographiques sur tous les sites ?
Le Parc National de la Salonga est si grand que nous ne pouvions pas tout surveiller d’un seul coup avec des appareils photos. Nous avons dû couvrir un morceau après l’autre jusqu’à ce que ce soit fait. En tout, cela a pris 18 mois, en prenant en compte les pauses entre les phases et les missions.
C’est certainement un effort logistique très important. Comment vous organisez cela ?
Nous avons adopté deux approches différentes. Dans un premier temps, nous avons utilisé la rivière Luilaka, qui borde le bloc de la Salonga du sud à l’est, comme autoroute pour accéder au parc. Nous sommes partis du nord, dans la région de Monkoto, et nous nous sommes déplacés vers le sud avec des pirogues pour surveiller la forêt jusqu’à la limite sud-est du bloc : le village de Nkomba Dumbe.
Dans la deuxième phase, nous n’avons pas pu procéder de la même manière (car pas de rivière appropriée) et nous avons organisé deux bases logistiques principales, à Anga (au sud) et à Mundja (à l’ouest). De là, les provisions et les équipements ont été transportés par les porteurs dans le fond du bloc, le long du chemin d’Iyaelima, où les équipes les récupéraient pour continuer le travail. Le sentier Iyaelima mène à leurs villages, qui sont situés dans les limites du terrain du parc.
»Il faut beaucoup de créativité pour organiser la logistique et les déplacements autour du parc. Et plus important encore, il faut des personnes dévouées, motivées et physiquement exceptionnelles. Nous avons eu la chance d'avoir un grand nombre de ces personnes qui ont participé à l'inventaire«
La vidéo montre des enregistrements de différentes espèces qui sont chez elles dans le Parc National de la Salonga.
Avec un projet d’une telle ampleur – quelles étaient vos pensées au début du projet ?
C’était un défi, c’est sûr. Au cours des premiers mois, je me suis parfois senti dépassé par l’ampleur de ce projet, les difficultés logistiques et la nécessité de fonder une stratégie d’enquête la plus efficace. Ensuite, les choses se sont mises en place et tout est devenu moins stressant. Bien que cela n’ait jamais été simple.
Avez-vous décidé de vous concentrer sur certaines espèces, ou bien c’est plutôt: tout ce qui est pris dans le piège photographique sera évalué ?
Nous n’avons pas mis l’accent sur une espèce en particulier, bien que nous espérions évidemment capturer des espèces qui ont un intérêt particulier de conservation comme les pangolins géants, le chat doré d’Afrique, le bonobo du Congo et l’éléphant de forêt. Je pense que vous avez bien compris l’idée !
Biomonitoring par les caméras pièges
Vous avez mis en place un total de 160 pièges photographiques dans 743 endroits. Pendant combien de temps cela s’est-il produit et pour combien de temps les caméras ont-elles été installées au même endroit ?
L’inventaire a duré 18 mois, pauses comprises. Les appareils photo ont été laissés au même endroit pendant au moins deux semaines, un mois en moyenne. Nous avions un nombre limité d´appareils, donc le plus difficile, logistiquement, était de les récupérer et de les rendre aux équipes de surveillance à temps pour la mission suivante. À cet égard, les rangers de la Salonga nous ont été d’une grande aide.
Les pièges photographiques ont-elles fourni des photos ou des vidéos – ou bien les deux ?
Nos appareils étaient réglés pour enregistrer des vidéos uniquement.
À quelle fréquence les images ont-elles été téléchargées ? Est-ce que les appareils restent-ils sur place ?
Les images étaient téléchargées à chaque fois que les appareils devaient être déplacés vers un autre endroit. Normalement, une fois par mois. Après l’inventaire, tous les appareils en marche ont été rendus à la direction du parc.
Le monitoring couvre une superficie totale de 17 127 km2. C’est une superficie plus grande que l’Irlande du Nord. Cette zone est-elle représentative de l’ensemble du parc (dans le sens où, par exemple, tous les habitats essentiels sont couverts) ?
Oui, les appareils ont été placés systématiquement sur des emplacements prédéfinis, 6 km éloignés les uns des autres. Les lieux ont été établis à partir d’une zone aléatoire. Cette approche a permis de couvrir tous les habitats représentés dans le parc, proportionnellement à leur occurrence. Cependant, nous nous sommes concentrés uniquement sur le bloc sud, alors que le bloc nord et le corridor du parc ont été étudiés par des équipes déployées par la « Wildlife Conservation Society » et la « Zoological Society of Milwaukee », en utilisant un concept similaire.
Ensemble, nous avons réussi à étudier 45 000 km2, ce qui represente l’une des études les plus vastes et les plus détaillées jamais réalisées sur une zone aussi vaste.
Il était probablement difficile de se rendre aux endroits où le piège photographique devait être installé. Pouvez-vous nous décrire cela ? Combien de personnes étaient impliquées ? Combien de jours ont été passés sur le terrain ?
Dans la première phase, nous avons utilisé des pirogues pour déplacer nos 5 équipes vers les points d’entrée le long de la rivière Luilaka. De là, elles se déplaçaient dans la forêt pour atteindre les emplacements des caméras. Dans la seconde phase, les équipes ont utilisé les villages le long du chemin d’Iyaelima comme base temporaire, tandis que la nourriture et l’équipement leur étaient livrés par des porteurs d’Anga et de Mundja. Chaque équipe était composée de 6 membres, d’un cuisinier et d’une douzaine de porteurs transportant de la nourriture. Ils passaient trois semaines dans la forêt pour étudier en moyenne 7 à 8 endroits, parcourant chaque mois près de 80 km de forêt et de marécages. Ils ont trouvé leur chemin à l’aide d’une boussole et d’un GPS, le chemin devant souvent être ouvert à la machette pour passer à travers les enchevêtrements de lianes et les fourrés de Marantacea.
Chaque mois, environ 100 personnes entraient dans la forêt pour l’inventaire. Un effort massif.
»Nous avons réussi à étudier 45 000 km², ce qui représente l'une des études les plus vastes et les plus détaillées jamais réalisées sur une zone aussi vaste«
Des moments mémorables
Il faut probablement être très patient pour participer à un tel projet… Quand est-ce que vous avez vu les premières images et comment c’était ?
En fait, il n’a pas fallu longtemps avant que les premières images sortent : environ deux mois. Je me souviens qu’on a tout de suite compris le potentiel des pièges photographiques et nous étions tous très excités. Avec seulement 25 lieux d’observation, nous avons fourni des vidéos de 24 espèces différentes, dont des bonobos, des paons du Congo et un pangolin géant. Beaucoup d’autres étaient à venir !
Quelle a été la plus grande surprise pour vous ? Y a-t-il un moment fort personnel que vous pouvez partager ?
Je ne peux pas dire qu’il y a eu une vraie surprise, mais je me souviens que les vidéos d’éléphants ont toujours été une source de grande satisfaction et de soulagement. Ils sont si rares et ont été tellement braconnés que le fait de les voir nous a donné la force de continuer. Ils nous ont rappelé l’importance de cet inventaire.
Y a-t-il une photo ou une vidéo particulièrement belle qui vous est restée en tête ?
Peut-être l’une des rares vidéos sur les léopards. Nous avons déjà eu la chance d’avoir un grand léopard qui se repose quelques minutes devant une caméra. Il s’étire et se roule comme un chat avant de partir, probablement à la recherche d’un repas. Une vidéo étonnante.
Toutes les données ont-elles été évaluées entre-temps ?
Non, la base de données que nous avons constituée est très importante (16 000 vidéos avec des animaux) et le traitement des vidéos prend beaucoup de temps. Dans cette première recherche, nous nous sommes concentrés sur 14 espèces, présentant un certain intérêt pour la conservation et étant suffisamment différentes les unes des autres pour tester l’applicabilité d’une méthode relativement nouvelle d’estimation du nombre d’animaux (abondance) à partir de pièges photographiques. Au moins 30 autres espèces ont pu être étudiées et évaluées. Plus important encore, il y a tellement plus que ces estimations d’abondance qui pourraient être étudiées grâce à ces vidéos. Personnellement, je me concentre actuellement sur les bonobos, en étudiant les aspects écologiques et de conservation spécifiques à ce singe endémique. Mais il y a tant à faire !
Quelles sont les prochaines étapes : Le contrôle (monitoring) doit-il être répété à certains intervalles ?
Oui, il serait essentiel de répéter le contrôle sur une base régulière. Cela permettrait de détecter les changements dans la taille de la population et de comprendre les tendances de la population, c’est-à-dire si les populations animales augmentent ou diminuent. Ces informations sont cruciales car nous saurions alors où les mesures de conservation sont efficaces et où elles ne le sont pas, nous permettant d’agir en fonction.
Mattia, merci beaucoup pour cette interview. Nous vous souhaitons tout le succès possible pour ce travail remarquable.
»Je me souviens que les vidéos d'éléphants ont toujours été une source de grande satisfaction et de soulagement. Ils sont si rares et ont été tellement braconnés que le fait de les voir nous a donné la force de continuer. Ils nous ont rappelé l'importance de cet inventaire«