Steve Ibamba est écogarde au Parc National de la Salonga depuis 1988. Grand, svelte et musclé, à 56 ans il est en pleine forme. Ce travail lui a apporté son lot de joie, de moments excitants et de coups durs aussi parfois.
Le métier d’écogarde à la Salonga est un travail éprouvant physiquement et Steve ne pourra pas le continuer indéfiniment. Cette page de sa vie devra bientôt être tournée.
On lit dans le regard de Steve la conscience aiguë du seuil important qu’il s’apprête à franchir.
Pour un responsable de famille penser à la retraite n’est pas une fantaisie de l’esprit. « J’ai vu des collègues partir en retraite et leur vie très vite se détériorer, parce qu’ils ne s’étaient pas préparés. Comment continuerons-nous à vivre dignement, moi et ma famille, lorsque mon emploi aura pris fin dans quelques années ? » confie Steve.
« J’ai longtemps réfléchi à cela et cherché à identifier le type d’activités que je pourrai exercer dans cette région isolée. Un jour j’ai appris que la nouvelle direction du parc avait mis en place un projet de développement rural avec les fermiers des alentours. J’ai voulu en savoir plus ».
L’initiative des fermes modèles
En 2015, l’Unité de Gestion du Parc National de la Salonga (UGPNS) a mis en place des activités d’encadrement des fermiers locaux dans le corridor situé entre les deux blocs du parc de la Salonga.
Le but est d’établir des pratiques agricoles pouvant fournir une alimentation saine aux fermiers et à leurs familles tout en leur procurant un revenu suffisant après la revente du surplus sur les marchés.
Ces pratiques agricoles sont démontrées et mises en oeuvre dans des fermes dites modèles qui doivent par la suite servir d’exemple à d’autres agriculteurs.
L’idée sous-jacente est d’amener les agriculteurs locaux à pratiquer une agriculture causant le moins de perte de forêts possible et évoluer progressivement vers l’abandon de l’agriculture itinérante sur brûlis pratiquée dans la région et dans tout le pays.
A l’heure actuelle, 10 fermes modèles ont ainsi été créées autour de Monkoto.
Cette agriculture innovante se doit d’être rentable : il faut que les nouvelles méthodes assimilées par le paysan l’aident concrètement à se procurer un revenu qui l’éloigne de la tentation de recourir à la chasse dans le parc voisin.
Les fermiers sont sélectionnés après consultation des comités locaux de développement (CLD) et sont formés par la suite à un ensemble de techniques agricoles nouvelles et adaptées au contexte local.
Ils sont formés à l’aménagement de leur espace, à la tenue de comptes de gestion et à une meilleure planification des saisons de culture et de récolte.
Les fermiers apprennent des techniques améliorées pour les cultures traditionnelles comme le manioc, l’arachide ou le maïs, mais aussi des nouvelles techniques telle que la culture du riz irrigué ou la pisciculture.
Ces activités n’ont donc pas échappé à Steve Ibamba. Se pourrait-il que l’agriculture lui apporte la solution à la préparation de sa retraite ?
Il décide de contacter les agents de développement rural du parc.
Un étang pour la pisciculture mis en place par l'UGPNS.
Devenir fermier
Papy Lolatui est Chargé de développement rural à l’UGPNS. « Steve nous a approchés. J’ai été impressionné par son désir de s’informer exactement sur le type d’agriculture que nous enseignons aux fermiers modèles. Son souci d’apprendre n’était pas dû à la seule curiosité. On sentait qu’il avait une idée claire de ce qu’il voulait. »
Pendant plusieurs mois, tout en poursuivant ses tâches habituelles d’écogarde, Steve ne rate pas une occasion pour comprendre un peu plus cette agriculture nouvelle.
Il voudrait bien s’y engager aussi, mais il est conscient de la nécessité de prendre toutes les précautions pour ne pas aller au-devant d’un échec. Il faut suivre attentivement et comprendre comment les choses se passent dans une ferme car on ne s’improvise pas agriculteur du jour au lendemain !
Les agriculteurs qui comme Steve se sont formés en s’inspirant des fermiers modèles initialement ciblés sont appelés des « répliquants »: c’est-à-dire qu’ils ont vu et assimilé les méthodes améliorées d’exploitation agricoles et sont capables de les répliquer.
55 « répliquants » sont actuellement recensés à Monkoto.
Avant de cultiver quoi que ce soit, il faut d’abord disposer d’un terrain. Steve fait donc en 2017 l’acquisition d’un terrain de 2,3 hectares dans les abords de Monkoto.
Le terrain de type marécageux situé dans un bas-fond se prête fort bien à la culture du riz. C’est ce qui lui est conseillé.
Le travail agricole sans machines est assez pénible mais Steve est un dur et ne se démonte pas facilement. Il a affronté et maîtrisé à plusieurs reprises en forêt des braconniers plus lourdement armés que lui et ses hommes.
Il est décidé à mettre son projet en marche et rien ne peut l’arrêter. Il suit donc scrupuleusement les conseils des animateurs.
Une première récolte satisfaisante
Les premières semailles du riz sur le terrain de Steve ont eu lieu en octobre 2017 et la première récolte en décembre de la même année.
Le riz peut être récolté trois fois dans une année. Comparé au manioc, autre culture importante de la région, le riz est beaucoup plus rentable à la vente : le manioc ne peut être récolté qu’une seule fois et le gros des ventes s’effectue surtout à Mbandaka à 5 jours de navigation.
Le riz, par contre est principalement vendu sur place à Monkoto où la variété cultivée est très prisée.
Après trois récoltes, un nouveau semis est alors effectué. Steve sait maintenant comment s’y prendre pour assurer la continuité du processus. Avec l’argent des premières récoltes, il envisage ajouter quelques activités supplémentaires sur son terrain.
Steve affirme avec satisfaction : « Je crois que je peux maintenant penser à ma retraite le cœur beaucoup plus tranquille.»
« Je voudrais que d’autres collègues puissent faire comme moi parce que l’assurance d’un revenu régulier issu de son propre travail est un gage de dignité et de respect lorsqu’on n’est plus employé ».
Même lorsqu’il ne participera plus de manière active comme écogarde à la protection du parc, sa ferme contribuera à la poursuite du combat mais sous une autre forme.
Rizière cultivée par Steve Ibamba