Les rivières et les poissons de la Salonga
Le Parc national de Salonga (PNS) est sillonné de larges rivières et parsemé de vastes inclusions marécageuses abritant de nombreuses espèces de poisson.
Des études systématiques menées en 2006, 2007 et 2010 ont permis d’établir une liste de 152 espèces de poissons réparties en 24 familles. Les auteurs d’une liste publiée en 2013 reprenant les données précédentes ont conclu que cette liste est encore incomplète. Quatre de ces familles de poissons sont particulièrement diversifiées et représentent à elles-seules près de 70 % des espèces présentes.
Les eaux noires et acides des rivières étant pauvres en matières nutritives, la plupart des poissons se nourrissent d’insectes, de graines et de fruits qui tombent dans l’eau.
La pêche comme moyen de subsistance
La pêche est une source substantielle de protéines et elle contribue de manière essentielle à la sécurité alimentaire et à la génération de revenus pour les populations riveraines, particulièrement dans le corridor de Monkoto.
Dans l’ensemble, les captures les plus abondantes sont enregistrées en juin et juillet, et aussi entre janvier et mars période correspondant à celles des étiages de la grande et de la petite saison sèche.
On note aussi une pêche assez intense en septembre et, dans une moindre mesure en octobre au moment où les poissons à la suite des fortes crues se déplacent massivement vers les eaux en forêt profonde.
Au dire des pêcheurs, toutes les espèces sont présentes toute l’année durant, mais certaines sont plus abondantes pendant les crues et d’autres pendant les étiages.
Généralement les pêcheurs n’apportent pas leur prise au marché du moins autour de Monkoto. Ce sont des femmes qui achètent le poisson auprès des pêcheurs pour le revendre au marché presque au double du prix d’achat.
Les hommes interviennent surtout dans la capture des poissons tandis que les femmes sont plus actives dans la transformation et la conservation.
Cependant cette pêche, telle qu’actuellement pratiquée par ces communautés, n’est pas suffisamment productive tant sur le plan de la sécurité alimentaire que celui des revenus qu’elle peut procurer.
Techniques de pêche
Les instruments utilisés comprennent les filets, les hameçons, les nasses et les harpons. Le filet dormant est le plus employé (80 % des pêcheurs), suivi de l’hameçon. Seuls 12 % des pêcheurs de la Luilaka pratiquent le filet trainant car la rivière est très encombrée de troncs d’arbres. Cette technique n’est pas utilisée sur la Loile, trop encombrée d’arbres.
Les mailles des filets, vont de 2,5 à 8 cm. En général, les pêcheurs considèrent que les filets sont plus productifs que les autres outils. En outre, leur usage est plus facile et ne requiert pas de savoir-faire particulier. D’où son usage plus répandu.
Les hameçons sont un bon moyen d’attraper les poissons prédateurs tels que les mongusu (Parachana obscura).
Un outil traditionnel de pêche est la nasse. Fabriquer une nasse prend deux à trois jours. Elle peut durer deux ans et se révéler plus utile que le filet suivant les saisons et les espèces de poisson recherchées. La nasse est placée dans l’eau tous les jours et permet de capturer jusqu’à 20-30 poissons.
Modes de conservation
Le fumage du poisson est la méthode de conservation la plus utilisée. Les méthodes traditionnelles ont cependant comme inconvénients la consommation de bois nécessaire et la conservation assez limitée du poisson ainsi fumé.
Le salage est pratiqué surtout par des commerçants venus de Kinshasa, en juin juillet. Cette technique est relativement récente dans la région.
Le salage tel que pratiqué souffre de beaucoup d’imperfections impactant la qualité du poisson conservé notamment en raison des quantités et du calibrage du sel, de la durée de saumurage, du mode de séchage avec des séchoirs souvent mal conçus, des lacunes sur le plan de l’hygiène.
Si la qualité des produits est jugée bonne au départ, la dégradation intervient avec la durée surtout avec l’effritement.
Si le salage est bien fait, le produit peut se conserver plus de cinq mois. Par rapport au poisson fumé, le poisson salé se dégrade moins vite et se vend mieux en ville.
Les menaces
Avec l’augmentation des capacités de contrôle du parc et de ses environs par l’UGPNS (Unité de gestion du Parc national de la Salonga), la chasse est moins pratiquée et, par conséquent, beaucoup d’anciens chasseurs se sont reconvertis en pêcheurs. Plus de jeunes également s’adonnent plutôt à cette activité.
On note ainsi que les alevins sont plus présents durant les saisons de crue, et que durant ces saisons l’on pêche soit dans la forêt rivulaire, soit à la lisière des rivières au moment où les migrations de reproduction ont lieu. Ce qui représente un danger pour ces alevins et donc pour les populations entières.
On note aussi que toutes les zones transversales des rivières sont fréquentées pour la pêche : le cours de la rivière, ses lisières et même les zones inondées.
La présence de plus en plus forte des genettes aquatiques, Genetta piscivora (une espèce de carnivore qui vit dans les forêts denses d’Afrique central et se nourrit essentiellement de poisson) est aussi à noter. Elles dévorent des poissons dans des filets qu’elles détruisent. Les pêcheurs évitent de les chasser car cela leur est interdit.
Pêche et conservation
L’impact de la pêche sur l’environnement semble encore assez faible, en raison notamment de la disponibilité réduite en intrants de pêche tels que les filets, de la limitation de la pêche à quelques kilomètres des villages et des campements, ou encore de la densité humaine relativement faible dans cette zone. Néanmoins, certaines techniques sont plus destructrices et des pêcheurs rapportent qu’ils prennent de moindres quantités ou des poissons plus petits.
Cependant, si certaines conditions sont respectées, la pêche peut être pratiquée par les communautés locales de manière à ce que les ressources halieutiques contribuent à augmenter la sécurité alimentaires, à générer des revenus et à améliorer les conditions de vie de façon durable et responsable en contribuant à sauvegarder la diversité biologique, les écosystèmes, et les processus et services environnementaux du parc de la Salonga. Le poisson peut contribuer à réduire la pression sur la faune sauvage.
La pêche dans le parc est illégale. Cependant une mission conduite en 2007 par le Gouverneur de l’ancienne grande province de l’Equateur avait obtenu de l’ICCN la permission pour les populations riveraines de pratiquer la pêche dans les rivières limitrophes du parc. Cette autorisation a été officialisée en 2021. L’UGPNS s’assure de sensibiliser les pêcheurs sur des pratiques de pêche responsable.
Appui de l’UGPNS aux pêcheurs
L’UGPNS a mené plusieurs actions de sensibilisation auprès et d’amélioration des techniques de conservation du poisson en même temps que la fourniture d’intrants de qualité.
La collaboration entre l’UGPNS et les pêcheurs est réalisée par le biais de l’UPPM : Union des pêcheurs professionnels de Monkoto. L’UPPM regroupe 100 associations de pêcheurs locaux et permet de les contrôler et de canaliser les appuis qui leurs sont destinés.
Pour l’instant l’essentiel des appuis est concentré sur la rivière Luilaka. Celle-ci n’est pas la seule rivière limitrophe du parc. Les moyens pour assurer l’encadrement des pêcheurs sur toutes les rivières limitrophes sont encore insuffisants.
L’UGPNS a initié les communautés riveraines et les pêcheurs de l’UPPM à la construction et à l’utilisation des fours Chorkor. Le four Chorkor introduit pour la première fois au Ghana est une méthode de fumage améliorée qui a l’avantage de consommer moins de bois et d’augmenter la qualité et la durée de conservation du poisson. Cependant, du fait que le poisson fumé et le poisson frais se vendent au même prix au marché, les communautés ont abandonné l’usage de ces fours et préfèrent vendre leur poisson frais. Ensemble avec l’UPPM, nous allons explorer de nouvelles idées, par exemple moins de poisson mais à un prix plus élevé, pour encourager la pêche durable.
Perspectives pour la conservation et le développement socio-économique
Un des objectifs de gestion de la pêche dans la zone du Parc de Salonga est d’établir la base de connaissance, la méthodologie et le système de surveillance nécessaires de la pression de la pêche.
Il est essentiel de déterminer la productivité potentielle de la pêche telle qu’elle est pratiquée. A défaut de pouvoir procéder à une évaluation stricte des stocks, travail complexe et coûteux-, il va être nécessaire de procéder à une évaluation empirique régulière des captures.
Vu le grand nombre d’espèces pêchées, l’objectif devra se limiter à fixer rapidement des indicateurs pratiques sur les limites d’exploitation acceptables, et de déterminer les modalités de gestion qui permettront de maintenir ces limites.
Nous espérons qu’ensemble avec nos partenaires, nous pourrons aborder plus en profondeur la question de la pêche à l’avenir tant pour le bien-être de la population que pour la santé des rivières dans la Salonga.