Le programme régional

Le programme « Diligence raisonnable en matière de droits de l’homme dans le Bassin du Congo », financé par le ministère allemand de la coopération au développement (BMZ), se concentre sur le renforcement des droits de l’homme  des populations autochtones et des communautés locales autour de trois paysages prioritaires du WWF dans le Bassin du Congo, l’un des points chauds de la biodiversité les plus importants au monde. Ces paysages comprennent les aires protégées de Dzanga-Sangha (APDS) en République Centrafricaine, le parc national de Lobéké (PNL) au Cameroun et le parc national de la Salonga (PNS) en République démocratique du Congo (RDC). Le programme régional est coordonné par le WWF RDC et mis en œuvre avec plusieurs partenaires locaux.

Les populations autochtones et les communautés locales vivant aux alentours des trois parcs nationaux ont traditionnellement entretenu une relation étroite avec la forêt, qui assure jusqu’à aujourd’hui une grande partie de leurs moyens de subsistance. Les zones protégées ont été créées dans le but de conserver des écosystèmes précieux abritant des espèces végétales et animales uniques. Par conséquent, l’accès aux zones protégées et l’utilisation de leurs ressources naturelles sont généralement limités.

Pour cette raison, l’établissement de zones protégées a souvent provoqué des conflits concernant les droits d’utilisation des populations locales.  Au moment de leur création (PNS en 1970, APDS en 1990, PNL en 1999), ces aires protégées ont été principalement établies dans le but de conserver la biodiversité et sans tenir compte de comment cela pourrait impacter les populations locales. À l’époque, les populations locales n’étaient souvent pas suffisamment impliquées dans les processus de décision et les communautés se sont donc souvent senties privées d’un territoire qu’elles utilisaient auparavant librement  sans une véritable compensation. Une lacune qui a des répercussions jusqu’à ce jour.

La population locale, en particulier les peuples autochtones, a perçu les restrictions d’accès aux forêts où elle vivait depuis des générations comme une perte traumatisante. Ce sentiment prévaut souvent jusqu’à aujourd’hui et fait partie de la mémoire collective qui se transmet de génération en génération. Associé à un faible niveau d’éducation et à la pauvreté, cela conduit souvent à un ressentiment à l’égard des mesures de conservation.

Nous nous efforçons d’atténuer ce ressentiment grâce aux activités suivantes et aux avantages qui en découlent pour la population locale :

  • Amélioration et maintien des services écosystémiques grâce à la conservation. Ceci comprend l’amélioration du microclimat et de l’équilibre hydrique, ou les effets d’entraînement du gibier qui se reproduit dans les zones protégées mais qui peut être chassé en dehors,
  • Un soutien complémentaire au développement rural, tel que l’agriculture durable et les forêts communautaires qui entraînent une augmentation de la fertilité des sols, ainsi qu’une amélioration de l’approvisionnement en nourriture et en nutriments, l’écotourisme et le développement et l’expansion des chaînes de valeur.
  • Participation accrue des populations autochtones et des communautés locales (PA&CL) aux processus décisionnels.

Ce dernier point est une étape cruciale vers ce que nous appelons la « conservation inclusive » : permettre aux populations locales d’exercer leurs droits et de décider de la gestion et de la conservation de la nature sur leur territoire. Cependant, une condition préalable est que les communautés locales connaissent, comprennent et fassent valoir leurs droits, notamment en ce qui concerne les droits de l’homme face à la discrimination, la marginalisation et les conflits même s’ils ne sont pas violents ou en cas de remise en cause de leurs droits d’utilisation des ressources et des terres.

Malheureusement, dans les trois pays du projet, les droits des populations locales (en particulier des communautés autochtones) sont à ce jour insuffisamment reconnus et, souvent, les populations autochtones et les communautés locales elles-mêmes ne sont pas pleinement conscientes de leurs droits. Grâce à différentes analyses commandées par le WWF, à l’expérience de longue date du personnel du WWF sur le terrain ainsi qu’aux discussions en cours avec les communautés et les partenaires, nous avons identifié les principaux défis suivants :

  • Faiblesse de la législation nationale relative aux droits des populations autochtones et faiblesse de la mise en œuvre de ces droits lorsqu’ils existent.
  • Absence de mécanismes de réclamation fonctionnels et accessibles autour des zones protégées.
  • Capacité insuffisante des organisations de la société civile (OSC) à soutenir les droits des communautés autochtones et locales
  • Manque de coordination régionale et d’échange entre les OSC représentant les populations locales

Comment relever les défis identifiés ci-dessus par le programme ?

Le WWF RDC est en partenariat avec différentes organisations régionales et locales pour mettre en œuvre le nouveau programme. Franck Kamunga, le coordinateur des droits de l’homme du programme BMZ, explique comment le programme aborde ces défis identifiés avec trois approches différentes :

« Tout d’abord, il convient de soutenir une politique nationale qui promeut les droits des peuples autochtones (PA), afin que leurs droits soient reflétés dans l’ensemble du cadre politique. Dans le cadre du programme, les décideurs politiques, du niveau local au niveau national, seront sensibilisés à la situation des droits des populations locales et autochtones ».

Il poursuit : « Grâce à nos partenaires REPAELEAC et REPALEF, des réseaux régionaux et nationaux de peuples autochtones, le gouvernement de la RDC a été soutenu pour rédiger la toute première loi du pays pour la promotion et la protection des droits des peuples autochtones. La loi vient d’être promulguée par le Président de la République, et nous aimerions féliciter toutes les personnes qui ont été impliquées dans ce travail important. « 

Une autre approche consiste à mettre en place un mécanisme de réclamation ou de plaintes dans le parc national de la Salonga. Franck Kamunga décrit la mise en place du mécanisme comme suit : « nous avons conçu le mécanisme de règlement des griefs avec notre partenaire JUREC, une ONG congolaise, et les populations locales en fonction de leurs besoins. Ce faisant, nous avons veillé à ce que les aspects locaux et culturels soient pris en compte et que les gens finissent par utiliser réellement le nouveau mécanisme. « . Franck souligne également que le mécanisme met l’accent sur les populations marginalisées et vulnérables, comme les peuples autochtones et les femmes, qui n’ont pas les mêmes moyens que les autres d’accéder à leurs droits et de les faire valoir.

Selon Franck, l’introduction du mécanisme de plaintes a été une étape importante dans l’histoire de la gestion du parc national de la Salonga. « C’est un outil très important pour renforcer le dialogue avec les communautés locales et leur donne les moyens de faire part de leurs préoccupations, tout en restant anonymes si elles le souhaitent. Nous devons donner aux gens les moyens de faire entendre leur voix. « .

En outre, Franck souligne que le mécanisme de règlement des griefs présente de nombreux avantages supplémentaires pour les peuples autochtones et les communautés locales, car il fournit des conseils sur la résolution des conflits et les médiations et sensibilise les communautés à leurs droits et obligations. En outre, le mécanisme a également contribué à améliorer la gouvernance locale et les relations entre les PA & CL et les forces de police qui comprennent mieux la nécessité d’accorder une attention particulière aux droits fondamentaux des communautés, individuellement ou collectivement, et de suivre les processus de diligence raisonnable dans le traitement des cas portés à leur attention sur le terrain. Enfin, la mise en œuvre du mécanisme renforce la connaissance des PA&CL sur les objectifs de la conservation du parc national de la Salonga.

Un troisième aspect du programme consiste à améliorer la capacité organisationnelle des organisations locales de la société civile afin de leur permettre de gérer les mécanismes de réclamation de manière efficace et indépendante, tout en utilisant leur expérience de travail sur le terrain pour contribuer au plaidoyer politique au niveau national. Le projet vise en outre à favoriser l’échange de connaissances entre les trois ONG qui gèrent les      s mécanismes de plainte dans les différents sites (PNS, APDS, PNL) entre elles ainsi qu’avec des réseaux expérimentés de promotion des droits de propriété intellectuelle au niveau international (IPACC/REPALEAC).

On peut se demander pourquoi une ONG connue pour la conservation de la nature et de la vie sauvage se consacre au soutien des droits de l’homme.

 

Franck Kamunga, Coordonnateur régional du programme des droits de l'homme BMZ

Franck Kamunga explique: « Les zones riches en biodiversité sont généralement très éloignées et souvent négligées par l’État. Même les ONG locales sont rares et n’ont souvent pas les moyens de soutenir les communautés locales, en particulier les communautés autochtones, en matière de droits de l’homme ou de moyens de subsistance. C’est donc un devoir pour le WWF d’apporter tout le soutien possible, car nous sommes souvent la seule organisation présente sur place. Nous sommes fermement convaincus que ce n’est qu’avec des communautés locales fortes que nous pourrons protéger ces parcs nationaux dans l’intérêt des populations et de la nature et contre les intérêts économiques à court terme ».

Il cite également Marco Lambertini, le directeur général du WWF International : « Le respect des droits de l’homme fait partie intégrante de notre travail. Les violations des droits de l’homme sont toujours inacceptables et ne peuvent jamais être justifiées au nom de la conservation ».

En raison de son caractère pilote, le programme tente également de gagner une traction internationale pour attirer l’attention sur les droits des PA&CL dans le Bassin du Congo. Afin de fournir des idées et de l’inspiration, mais aussi pour recueillir les impressions d’autres pays et régions du mond, le projet a été présenté à diverses conférences internationales. Par exemple, le WWF et ses partenaires du programme IPACC/ REPALEAC et JUREC ont présenté le programme lors d’une réunion sur le patrimoine mondial de l’UNESCO en 2021, lors d’un événement parallèle à la Conférence des Nations unies sur le changement climatique COP 26 à Glasgow, et lors du récent APAC (African Protected Area Congress) en juillet 2022.  Début décembre 2022, le programme sera présenté au Forum international des peuples autochtones sur le changement climatique au Caire, en Égypte, par nos partenaires IPACC/ REPALEAC.

Le projet espère présenter davantage de résultats sur un site web actuellement en cours de développement par IPACC, afin de faire connaître ces initiatives cruciales qui rapprochent la conservation et les droits de l’homme ».